Quel lien entre glucosamine et arthrose ?

Glucosamine et arthrose

La glucosamine démontre d’une part des capacités anaboliques et d’autre part un effet préventif de l’action des cytokines pro-inflammatoires.

Mécanismes d’action et rôle dans le métabolisme du cartilage

Cartilage et protéoglycanes

Le cartilage est un des tissus les plus riches en protéoglycanes (PGs). Ces PGs sont formés de monomères de PGs qui s’appellent des agrécanes et, chaque agrécane est attaché sur une molécule d’acide hyaluronique, composant ainsi des macro-agrégats de très haut poids moléculaire (1).

Les PGs, en raison de leur pouvoir hydrophile, jouent un rôle fondamental dans la résistance du cartilage articulaire aux forces de compression. L’expansion de ces molécules est limitée par l’armature rigide que représente le réseau fibrillaire des collagènes de type 2.

D’autre part, les macro agrégats de cartilage sont en partie retenus dans l’environnement direct du chondrocyte et participent au maintien de leur phénotype et aux fonctions cellulaires vitales de celui-ci. La perte quantitative, ou des modifications qualitatives touchant les PGs au sein du cartilage, peuvent le fragiliser et faire le lit d’une arthrose. L’agrécane est composé d’une protéine centrale sur laquelle sont attachés des glycosaminoglycanes (GAGs).

Les GAGs du cartilage humain, comprennent le kératane sulfate, le dermatane sulfate, l’héparane sulfate et les chondroïtines sulfates (sulfatées en position 6 ou en position 4). Chaque GAG est formé de la répétition d’unités de disaccharides qui sont une combinaison d’un acide hexuronique (soit l’acide glucuronique, soit l’acide iduronique, soit le galactose) à un hexosamine (soit la D-glucosamine, soit la D-galactosamine). La D-glucosamine est l’hexomanie de base du kératane sulfate et de l’héparane sulfate, la D-galactosamine est présente dans les chondroïtines sulfates et provient également de la glucosamine.

La glucosamine (Gln) est donc un composé essentiel des PGs qui intervient directement dans la composition des GAGs, et dont le routage est principalement destiné à la synthèse des chondroitines sulfates. L’utilisation de la Gln dans le traitement de l’arthrose repose sur l’hypothèse que la Gln exogène pourrait directement intervenir dans la production des GAGs et donc des PGs ainsi que dans leur assemblable. La participation à la biosynthèse des glycosaminoglycanes (GAG) intervient via la production de glucosamine 6 phosphatase (figure 1). Dans la voie de synthèse de ces hexosamines, l’UDP galactosamine sert de substrat à la glycation de nombreuses protéines (figure 2).

La Gln est également un composé crucial dans la voie de biosynthèse de l’acide hyaluronique, indispensable dans l’assemblage des macroagrégats des PGs. Il existe différentes Glns disponibles: la Gln sulfate, qui utilise un double substrat de Gln et de sulfate indispensable à la synthèse des PGs, une Gln liée à l’acide hydrochlorique, Gln HCL, enfin une N-acétyl-glucosamine qui est une forme acétylée de la Gln.

Actions in vitro de la glucosamine sur le cartilage et les chondrocytes

Les résultats des études in vitro (culture de chondrocytes ou d’explants, normaux ou arthrosiques) sont à interpréter avec prudence car nombre de variables rentrent en ligne de compte. Ainsi un travail récent montre que l’effet de la Gln varie avec sa forme (hydrochloride ou acétylée) et le type de culture de chondrocytes utilisé: sur des modèles avec adhérence des chondrocytes bovins au plastique (en monocouche), la Gln Hcl est inhibitrice de la prolifération cellulaire et la forme acétylée et son dérivé synthètique butyrylé sont au contraire mitogènes; à l’inverse ces différentes Glns sont pratiquement dépourvues d’effet cellulaire dans des modèles de culture où les chondrocytes n’adhèrent pas (culture en alginate) (2).

Concernant les nombreux travaux in vitro portant sur la Gln on peut retenir :

  • Un effet anabolique sur la synthèse des PGs, via l’expression du gène de l’agrécane, à des concentrations millimolaires (mM), voire micromolaires (M) et l’absence d’effet sur la synthèse du collagène de type II (3).
  • Un effet anti catabolique (habituellement observé à des concentrations mM, voire M): par diminution de l’expression des gènes de certaines métalloprotéases, notamment de la MMP3 (enzyme impliquée dans la dégradation des protéoglycanes), de l’agrécanase ; par diminution de la production de prostaglandine E2, du nitrique oxide; par un effet protecteur vis-à-vis de l’action des radicaux libres; par un effet préventif de l’action délétère de cytokines proinflammatoires (IL-1 et TNF ) (3,4,5). La glucosamine pourrait intervenir dans le chondrocyte en diminuant la voie de la signalisation du NF k-B (6).
  • Paradoxalement à des concentrations fortement élevées (au-delà de 10 millimolaires), la Gln peut inhiber la synthèse des protéoglycanes et même avoir un effet cytotoxique entraînant l’apoptose des chondrocytes (peut être par une surconsommation cellulaire d’ATP ?) (7).

Certains mécanismes d’action nouveaux se font jour. Ainsi, la glucosamine peut interférer avec les mécanismes de peroxydation des protéines et des lipides ce qui pourrait diminuer la dégradation de molécules comme le collagène de type 2 (8).

Classiquement, la Gln n’inhibe pas les voies de synthèse des différentes prostaglandines ce qui la différencie sur ce point des AINS (9). Pour autant, il a été récemment montré que la Gln pouvait interférer spécifiquement (sans effet sur la cyclooxygenase (cox) de type-1) avec la glycosylation de la Cox-2 et sa dégradation par le protéasome, avec pour conséquence une diminution de production de PGE2 (10).

L’association des 2 molécules pourrait avoir un effet additif. Ainsi sur des explants de cartilage bovin stimulés par l’IL-1 , l’association glucosamine et chondroitine entraine une diminution significative de l’expression des facteurs pro inflammatoires (Cox 2, PGE2, NFK b, NO) et des enzymes telles que les agrécanases et la MMP-3 (11).

Modèles in vivo chez l’animal

On ne dispose que de très peu d’études d’arthrose expérimentale. La glucosamine en intra-articulaire ont montré leur capacité à diminuer la perte en protéoglycanes et l’extension des lésions histologiques d’arthrose (12). De façon plus originale, la Gln pourrait cibler d’autres tissus comme l’os sous chondral. C’est ce que suggère une étude récente qui montre un ralentissement du remodelage de l’os sous chondral dans un modèle d’arthrose induite par section du ligament croisé chez le lapin (13).

Métabolisme, biodisponibilité et hypothèses d’action de la glucosamine sur le cartilage

Le mécanisme d’action de la Gln in vivo reste à démontrer et se heurte à plusieurs paradoxes :

  • La très faible absorption intestinale des Glns (moins de 10 % de la Gln étant absorbée), explique les taux sériques très bas (micromolaires) (14). Il est donc peu probable que la Gln disponible, après ingestion orale, puisse rendre compte d’une accumulation effective intra-tissulaire dans le cartilage ;
  • L’apport de Gln exogène, y compris à des concentrations élevées (millimolaires), rend compte de moins de 10 % de la synthèse des chondroïtines sulfates produit par le chondrocyte qui utilise prioritairement le glucose comme substrat : il faudrait une accumulation de x 500 dans le tissu de Glucosamine pour entre en compétition avec 5nm glucose (15). La Gln pourrait intervenir, à distance de l’articulation, dans des tissus où les concentrations seraient plus élevées comme l’intestin, le foie (en raison d’un premier passage hépatique) (16). La Gln peut augmenter l’activité de glycosyles transférases (GLUt 2) et participer à la glycation de certaines protéines très à distance de l’articulation.

Conclusions

Il y a beaucoup d’arguments tirés des travaux fondamentaux pour suggérer un effet bénéfique de la glucosamine sur l’évolution de l’arthrose. Ainsi la glucosamine sert en partie de « carburant » à la synthèse des GAGs et démontre par ailleurs d’une part des capacités anaboliques et d’autre part un effet préventif de l’action des cytokines pro-inflammatoires.

Références

1. Chevalier X. Physiopathology of arthrosis. The normal cartilage. Presse Med 1998; 27:75-80.
2. Terry DE, Rees-Milton K, Smith P, Carran J, Pezeshki P, Woods C, Greer P, Anastassiades TP. N-acylation of glucosamine modulates chondrocyte growth, proteoglycan synthesis, and gene expression. J Rheumatol 2005; 32:1775-86.
3. Dodge GR, Jimenez SA. Glucosamine sulfate modulates the levels of aggrecan and matrix metalloproteinase-3 synthesized by cultured human osteoarthritis articular chondrocytes.
Osteoarthritis Cartilage 2003; 11:424-32.
4. Dechant JE, Baxter GM, Frisbie DD, Trotter GW, McIlwraith CW. Effects of glucosamine hydrochloride and chondroitin sulphate, alone and in combination, on normal and interleukin-1 conditioned equine articular cartilage explant metabolism. Equine Vet J 2005; 37:227-31.
5. Tiepoli T, Zanelli T, Letari O, Persiani S, Rovati LC, Caselli G. Glucosamine sulfate inhibits IL-1 stimulated gene expression at concentrations found in humans after oral intake. Arthritis Rheum 2005; 52(Suppl 9): S502:1326.
6. Gouze JN, Bianchi A, Becuwe P, Dauca M, Netter P, Magdalou J, Terlain B, Bordji K.Glucosamine modulates IL-1-induced activation of rat chondrocytes at a receptor level, and by inhibiting the NF-kappa B pathway. FEBS Lett 2002; 510:166-70.
7. de Mattei M, Pellati A, Pasello M, de Terlizzi F, Massari L, Gemmati D, Caruso A.High doses of glucosamine-HCl have detrimental effects on bovine articular cartilage explants cultured in vitro. Osteoarthritis Cartilage 2002; 10:816-25.
8. Tiku ML, Narla H, Jain M, Yalamanchili P. Glucosamine prevents in vitro collagen degradation in chondrocytes by inhibiting advanced lipoxidation reactions and protein oxidation. Arthritis Res Ther 2007; 9:R76
9. Richette P, Bardin T. Structure-modifying agents for osteoarthritis: an update. Joint Bone Spine 2004; 71(1):18-23.
10. Jang BC, Sung SH, Park JG et al. Glucosamine hydrochloride specifically inhibits COX-2 by preventing COX-2 N-glycosylation and by increasing COX-2 protein turnover in a proteasome-dependent manner. J Biol Chem 2007; 282:27622-32.
11. Chan PS, Caron JP, Orth MW. Short-term gene expression changes in cartilage explants stimulated with interleukin beta plus glucosamine and chondroitin sulfate. J Rheumatol 2006; 33:1329-40.
12. Shikhman AR, Amiel D, D’Lima D et al. Chondroprotective activity of N-acetylglucosamine in rabbits with experimental osteoarthritis. Ann Rheum Dis 2005; 64:89–94.
13. Wang SX, Laverty S, Dumitriu M, Plaas A, Grynpas MD. The effects of glucosamine hydrochloride on subchondral bone changes in an animal model of osteoarthritis. Arthritis Rheum 2007, 56: 1537-48.
14. Persiani S, Rotini R, Trisolino G, Delliponti L, Rovati LC, Locatelli M, Roda A.Glucosamine plasma and synovial fluid concentrations before and after oral administration of crystalline glucosamine sulfate in knee osteoarthritis patients. Arthritis Rheum 2005; 52 (suppl 9): S508-1342.
15. Mroz PJ, Silbert JE. Use of 3H-glucosamine and 35S-sulfate with cultured human chondrocytes to determine the effect of glucosamine concentration on formation of chondroitin sulfate. Arthritis Rheum 2004; 50:3574-9.
16. Laverty S, Sandy JD, Celeste C, Vachon P, Marier JF, Plaas AH. Synovial fluid levels and serum pharmacokinetics in a large animal model following treatment with oral glucosamine at clinically relevant doses. Arthritis Rheum 2005; 52:181-91.

Pr Xavier CHEVALIER